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mise à jour
le 26/01/2017
La lévitation magnétique - le levitron
 

(article publié dans le N°934 de Science & Vie, Juillet 95, page 148)

 

levitron
Vidéo provenant du site de LEVITRON

On lance la toupie sur un carré de plastique ; on le soulève légèrement : la toupie décolle ; on le retire : la toupie reste en l'air ! Ce jeu, qui a passionné les Américains et plus encore les Japonais, fait son entrée en France. La vraie lévitation, garantie sans parapsychologie, grâce au mariage des effets magnétiques et gyroscopiques.
(
Renaud DE LA TAILLE)

 

Si quelque mage dans le vent prétend déplacer un objet à distance par la seule force de la pensée, les esprits soupçonneux cherchent vite la ficelle bien cachée qui pourrait mystifier les naïfs. Et quand vraiment la ficelle est absente, l'idée leur vient qu'un aimant doit être dissimulé quelque part. Car le magnétisme est le seul processus immédiat et connu qui soit capable d'exercer des actions à distance sans aucun lien matériel.

Et c'est bien sûr lui qui assure la lévitation de ces toupies qu'on trouve dans le commerce sous les noms de Levitron ou de U-CAS. Une petite toupie de la taille d'une pièce de 5 F à faire léviter au-dessus d'un socle en bois ou en plastique. L'effet est réellement saisissant et d'autant plus spectaculaire qu'il n'y a aucun montage en jeu : pas de fils, pas de circuits électroniques, pas de bobinages ou autres antennes à haute fréquence. Le socle ne fait qu'abriter une grande ferrite carrée aimantée circulairement, et la toupie n'est, à son tour, qu'une simple ferrite ronde.

Mais, quand on la voit flotter en apesanteur au-dessus de son socle, on se prend à rêver : à Gauss, à Coulomb, à Weber, à OErsted, à tous ceux qui ont étudié, mesuré et quantifié tout ce qui touche à l'aimantation. Passent aussi les noms de Newton, Bohnenberger et Foucault pour ce qui concerne la dynamique des corps en rotation et les effets gyroscopiques. En fait, l'aimantation et les effets d'attraction ou de répulsion qui lui sont liés étaient connus dès l'antiquité grecque, de même d'ailleurs que l'attraction électrostatique. Mais ils ne reçurent qu'un intérêt limité, et il faudra attendre 1687 et la loi de l'attraction universelle de Newton pour que la notion d'action à distance sans lien matériel soit réellement comprise et mise en équation. Newton avait découvert que deux corps s'attirent en fonction directe de leurs masses m et m' et en raison inverse du carré de leur distance d ; la force qui les tire l'un vers l'autre est F = kmm'/d2, k étant un coefficient qui ne dépend que des unités choisies.

L'action à distance sans lien matériel fut mise en équation en 1687

A partir de 1750, les phénomènes électrostatiques et magnétiques commencèrent à être étudiés de manière scientifique, en particulier par le Français Charles de Coulomb. En 1785, il montre que la force d'attraction ou de répulsion qui s'exerce entre deux corps électriquement chargés est donnée par la formule F = kqq'/d2, où q et q' mesurent la charge, positive ou négative, des corps en présence, et d la distance qui les sépare. En analysant de manière analogue les effets produits par des aimants, il prouve ensuite que les attractions ou répulsions entre corps aimantés obéissent à la formule F = kcc'/d2, où c et c' mesurent cette fois les masses magnétiques.

Donc, chose curieuse, qu'il s'agisse de la gravitation, de l'électrostatique ou du magnétisme, on retrouve pour la mesure des forces une formule exactement similaire en xx'/d2. Mais, et c'est une autre énigme, on ne voit pas d'autre corrélation entre ces trois forces qui n'ont pas même nature et dont la description mathématique n'est pas similaire non plus. Ainsi, le vecteur champ électrique peut être comparé à une flèche tirée d'un arc : il a une direction, un sens de propagation, et c'est tout. En revanche, le vecteur champ magnétique devrait être comparée à une balle de fusil tirée dans un canon rayé : celle-ci a non seulement un sens de propagation, mais aussi un sens de rotation. Par ailleurs, si l'on sait isoler des charges électriques strictement positives ou négatives, on n'a jamais pu isoler de masses magnétiques purement nord ou purement sud : un aimant est toujours un dipôle avec un pôle nord à un bout et un pôle sud à l'autre, et il est impossible de séparer ce couple nord-sud. Pourtant, la première idée qui vient à l'esprit pour isoler une polarité consiste à détacher d'un barreau aimanté une des extrémités, nord ou sud. Rien de plus facile à faire avec une scie, mais le petit morceau ainsi détaché se trouve être un aimant habituel avec un pôle nord à un bout et un pôle sud à l'autre.

On peut reprendre l'opération indéfiniment, on aura toujours des dipôles : ils seront seulement de plus en plus petits. Autour d'un aimant, l'espace possède des propriétés particulières : l'aiguille de la boussole tourne, la limaille de fer s'oriente en courbes pointillée, une pièce de 1 F est attirée, etc ; on dit que l'aimant crée un champ magnétique. Ce champ, dans lequel ne poussent ni betteraves ni carottes, est d'ailleurs orienté, les lignes de force allant du nord vers le sud. L'unité de champ magnétique est l'ampère par mètre, l'unité de masse magnétique étant le weber.

Ajoutons, bien que ces processus n'entrent pas en jeu dans nos toupies en lévitation, qu'un courant électrique engendre un champ magnétique autour du conducteur dans lequel il circule ; réciproquement, un conducteur plongé dans un champ magnétique variable est le siège d'un courant. Toutes les machines électriques, dynamos, alternateurs, moteurs, relais, servocommandes et autres reposent sur ces processus.

Dans la vie courante, on utilise peu les phénomènes de répulsion

De même que les charges électriques de même signe se repoussent, les pôles magnétiques de même nom se repoussent aussi. On le constate facilement avec des aimants en barreau, ou avec des punaises magnétiques unipolaires - certaines sont assimilables à des aimants en fer à cheval, et il faut donc les orienter pour avoir nord et sud face à face. Dans la vie courante, c'est le côté attractif des aimants qui est le plus utilisé : fermetures de portes pour les placards ou les réfrigérateurs, électroaimants pour soulever ou trier les ferrailles, punaises magnétiques pour fixer les papiers sur un tableau métallique, etc.

En revanche, les forces de répulsion semblent à peu près sans emploi, bien qu'elles jouent un rôle pratiquement symétrique dans le fonctionnement des moteurs électriques. Mais, pour le reste, il n'y a pas d'usage quotidien pour cette force qui a pourtant l'avantage de vaincre la pesanteur sans aucune structure matérielle ; les seuls grands projets utilisant la répulsion concernent les trains à sustentation magnétique, mais ceux-ci en sont toujours au stade des essais.

C'était pourtant une idée tentante d'utiliser le champ magnétique d'un aimant permanent pour repousser un autre aimant vers le haut, et donc le mettre en état de lévitation. L'ennui, c'est que l'idée se heurte à une difficulté majeure, liée à la nature même des aimants, qui sont toujours des dipôles : on peut mettre un pôle nord en face d'un pôle nord, par exemple, mais il reste deux pôles sud dont la tendance irrépressible est d'aller rejoindre les pôles opposés ; la position est instable.

Elle est même tellement instable qu'il est sans doute plus facile de faire tenir bout à bout deux aiguilles à coudre sur leurs pointes. Cela est dû à ce que les lignes de force du champ magnétique se comportent comme des surfaces mathématiques en interaction l'une avec l'autre et infiniment glissantes : le savon le plus fluide sur le rebord du lavabo le plus lisse n'en donne qu'une pâle idée. Autant dire qu'en pratique il est impossible de faire tenir debout deux aimants face à face, l'un au-dessus de l'autre : il y a toujours une amorce de glissement latéral immédiatement amplifiée par les forces en présence.

Mais, comme nous l'écrivions dans cette même rubrique en décembre 1986, il devrait être possible d'utiliser les forces de réaction gyroscopiques en lançant à grande vitesse un anneau aimanté au-dessus d'un autre. L'idée directrice était la suivante : il est impossible de faire tenir un crayon debout sur la pointe, mais, si on enfile le crayon au centre d'une gomme ronde - expérience faite par des miliers d'écoliers - on a une toupie qui, bien lancée, tient très bien debout sur sa pointe.

C'est parce qu'elle tourne que la toupie tient au-dessus du socle

Restait à matérialiser l'idée, ce qu'a fait un chercheur américain spécialisé dans la sustentation magnétique pour trains à grande vitesse. Le résultat : deux toupies permettant une lévitation par répulsion magnétique, l'une venant des Etats-Unis et baptisée Levitron, qu'on trouve dans les magasins « Nature & découvertes », l'autre dénommée U-CAS et provenant du Japon ; on devrait la trouver dans les supermarchés au mois de juillet. A part l'habillage, le matériel est identique : une rondelle de ferrite aimantée avec un tige centrale pour la lancer constitue la toupie ; pôle nord en haut, sud en bas, nature chez Levitron et habillée de plastique argenté chez U-CAS.

L'aimant de sustentation, logé dans un socle en bois (Levitron) ou en plastique noir (U-CAS), est une autre ferrite carrée aimantée circulairement, pôle sud en haut, nord en bas ; cette ferrite constitue, en quelque sorte, un anneau aimanté. Ajoutons que ces ferrites sont isolantes, ce qui est important, car, si elles avaient été conductrices, les courants de Foucault auraient très vite freiné la rotation de la toupie.

Une fois bien lancée - un coup de pouce qui se prend assez vite -, celle-ci peut rester en lévitation plus de deux minutes au dessus du socle (nous avons obtenu 3 min 10 s avec la toupie Levitron au-dessus du socle U-CAS). Sans rotation, il serait absolument impossible de la faire tenir au-dessus de son socle (c'est le coup du crayon sur la pointe). C'est parce qu'elle tourne très vite sur elle-même qu'elle peut, selon son humeur, tenir de 30 secondes à plus de deux minutes en l'air.

La raison de cette fragile stabilité - un souffle suffit à tout perturber - tient aux effets gyroscopiques qui concernent tout corps mis en rotation. Considérons par exemple une toupie ordinaire lancée selon la verticale, et essayons de la pousser en avant ; contrairement à toute attente, elle ne bascule pas en avant, mais sur le côté - vers la droite ou vers la gauche selon son sens de rotation. D'une manière absolument générale, toute force exercée sur l'axe de rotation entraîne un déplacement qui se fait à angle droit par rapport à la direction de cette force.

Ce curieux processus, appelé précession, est très difficile à suivre dans son principe car on ne peut en donner une interprétation qui soit à la fois simple, intuitive, et correcte. Disons simplement que ce couple de basculement, perpendiculaire à la sollicitation, résulte des forces d'inertie liées à l'accélération complémentaire que subit tout point d'un corps en rotation soumis à une force extérieure. Les amateurs de cinématique noteront aussi que ce couple peut être expliqué par les variations de la vitesse relative et de la vitesse d'entraînement en tout point de la toupie quand on veut déplacer son axe.

Par ailleurs, toute masse lancée à grande vitesse autour d'un axe acquiert une énergie cinétique élevée, et donc un moment cinétique lui aussi élevé. Dans ces conditions, pour changer son orientation, il faut modifier son énergie cinétique, et donc mettre en jeu une force non négligeable - alors que, si la masse est immobile, un simple effleurement suffit à la déplacer. De ce fait, l'axe de rotation d'une toupie tend à garder une direction fixe.

Revenons maintenant à nos aimants mis face à face par leurs pôles de même nom ; la force de la répulsion magnétique est suffisante pour soulever à quelques centimètres une masse de l'ordre de 25 g - la loi de répulsion étant en xx'/d2, 25 g à 2 cm donneraient 100 g à 1 cm ou 400 g à 0,5 cm. Mais la position, nous l'avons vu, est celle d'un cône posé par la pointe sur la pointe d'un autre cône ; ajoutons que les champs magnétiques sont assimilables à des cônes mathématiques dont le sommet est un point sans dimension : l'équilibre statique est impossible.

Passons au stade dynamique en lançant la pastille aimantée ; l'attraction entre les pôles opposés qui tendait à faire immédiatement basculer la pastille va se heurter à la permanence de l'axe de rotation qui tend à rester fixe et réclame une certaine force pour être déplacé. De plus, si cette force tend à le basculer en avant, lui va pencher sur le côté et la toupie prend une inclinaison à angle droit de la direction qui tendait à la faire tomber.

Mais pourquoi cette lévitation est-elle instable ?

Notons que ces réactions se font de manière instantanée et en continu sur des angles très faibles : la toupie semble immobile ou à peine vacillante. De plus, l'aimant au-dessus duquel elle tourne est en anneau, et les lignes de force du champ dessinent de ce fait une très légère cuvette dans laquelle l'axe de rotation peut se déplacer sans que l'équilibre soit immédiatement rompu. On a donc ici deux effets qui se combinent : les forces magnétiques qui repoussent la toupie vers le haut, et les forces d'inertie de Coriolis qui réagissent en continu à toute inclinaison de l'axe et maintiennent l'équilibre.

Le frottement de l'air sur la toupie suffit à la ralentir peu à peu jusqu'au moment où les forces gyroscopiques ne sont plus suffisantes pour assurer une lévitation stable. Celle-ci, nous l'avons dit, peut durer plus de trois minutes, mais nous n'avons réussi ce temps qu'une seule fois sans pouvoir le reproduire. En général, la toupie ne tient qu'une ou deux minutes, souvent même moins. D'un coup au suivant, d'ailleurs, il arrive qu'il faille alléger ou alourdir la toupie - des rondelles amovibles sont prévues pour cela - avant de pouvoir retrouver une lévitation stable.

La raison de ces instabilités nous est demeurée une énigme. On nous a cité comme explication des variations de la pression atmosphérique ou de la température, mais nous n'y croyons guère car les effets induits par ces variations ne dépasseraient pas une fraction de milligramme alors que la plus légère des rondelles d'équilibrage dépasse encore deux décigrammes. Nous pensons plutôt que, pour une vitesse de rotation donnée, l'interaction entre forces magnétiques et forces gyroscopiques mène à plusieurs positions d'équilibre très voisines, le tout étant d'avoir la chance de tomber sur la plus stable du premier coup.

Science & Vie N°934, Juillet 95, page 148

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couramment disponible dans le commerce il y a quelques années, le Levitron semble beaucoup plus difficile à trouver en France aujourd'hui

une solution : comme l'a fait Samuel Bernard-Bernardet, vous pouvez réaliser vous-même votre Levitron à partir d'aimants de haut-parleurs !

 

 
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